6 novembre 1959
Romy et Alain passent une semaine en amoureux au bord du lac de Lugano
                                                                               
   Novembre 1959. Romy Schneider et Alain Delon passent une semaine en amoureux au bord duc Lugano. Les deux amants sont invités dans la propriété de Magda, la mère de Romy, une villa nichée à flanc de montagne. Le reporter Roger Denizon sera le seul à photographier cette dernière escapade romantique.

   Ce matin-là, 6 novembre , 9h du matin, de magnifiques brumes blanches couvrent le lac de Lugano, lui donnant un aspect féerique. Tendrement enlacés, Romy et Alain attendent le photographe, avant d'embarquer pour une promenade en bateau à moteur sur le lac. Les deux jeunes amoureux sont invités par Magda Schneider et son mari Hans Herbert Blatzheim à passer des vacances dans la superbe propriété que Magda possède à Vico Morcote, village de 300 habitants niché à flanc de montagne, sur les bords du lac, au cœur du canton suisse italien du Tessin. C'est une magnifique région montagneuse avec ces immensesforêts de sapins où l'on peut se perdre.
   Quelques mois plutôt, le 10 avril 1958, Romy a rencontré le jeune acteur français à l'aéroport d'Orly. Si ce ne fut pas un coup de foudre, la comédienne allemande est aujourd'hui follement éprise d'Alain Delon. Ces photographies non posées et prises sur le vif, ont le mérite de la spontanéité : elles en disent long sur la passion sans limites que Romy voue à Delon. Sur la plupart des clichés, elle le dévore d'un regard brûlant mais souvent interrogateur. Ses yeux suppliants semblent dire : "M'aimes-tu autant que je t'aime ? Sue vas-tu faire de notre amour ?". Plutôt que d'enlacer son compagnon, on jurerait que la comédienne s'accroche à lui, comme à une bouée de sauvetage.

Naissance d'une femme

   Sur une photographie, elle le fixe d'un air grave en lui mettant la main sur la bouche, comme si elle avait peur qu'il lui murmure une insoutenable vérité... Dans les grandes romances, les amants ont d'ordinaire le même regard d'un seul désir pour deux. Pas sur ces images : l'acteur semble absent, lointain, il regarde vers un ailleurs, comme absorbé par ses rêves de futures conquêtes, cinématographiques ou féminines. Romy, qui a beaucoup d'instinct, sait déjà que le comédien de 24 ans à la beauté insolente lui échappe, subrepticement, mais de façon irréversible. Et cette seule perspective la plonge dans une indicible peur : celle de l'abandon. Stefan Zweig, l'auteur préféré de Romy, n'écrivait-il pas qu'en amour, celui qui sait souffre le plus ? Delon reprèsente tout pour elle : grâce à ce jeune acteur au sourire lumineux, la chrysalide complexée et écrasée par sa mère, l'actrice trop sage lassée d'incarner Sissi, s'est muée en papillon qui va bientôt tourner sous la direction re René Clément, dans Plein soleil.  Qu'importe si elle n'est que figurante dans ce drame où Alain Delon, tel un phénix, tiendra le premier rôle.
   Mieux : on la trouvait jolie, et voici que Delon l'a rendue belle, par le miracle d'un amour fusionnel. Le seul homme qui a su mettre des mots sur ses désirs, l'a bousculée dans le meilleur sens du terme : dans ses bras, elle découvre des plaisirs charnels qu'elle ne soupçonnait même pas, elle qui sort à peine de l'enfance lorsque la passion la foudroie. Elle se sent désormais, à 21 ans, une vrai femme, épanouie et comblée physiquement. Mais les fous rires partagés, les promenades complices en décapotable ou en bateau masquent une réalité plus sombre : à cette période charnière de sa vie, la comédienne souffre d'une solitude abyssale. Orpheline de cœur, elle ne voit quasiment plus son père, l'acteur autrichien Wolf Albach-Retty.

Avec ce jeune premier beau comme un dieu, elle se libère des chaînes maternelles qui brident sa vie professionnelle et sentimentale

   Et surtout, elle ne supporte plus sa mère Magda, calculatrice, castratrice, hypicrite et opportuniste, qui profite de sa fille pour faire oublier sa proximité, pendant la guerre, avec des dignitaires nazis, dont Martin Bormann.
   Elle supporte encore moins cet encombrant et intrusif beau-père, Hans Herbert Blatzheim, un restaurateur de Cologne qui a déjà trois enfants d'un autre lit et que sa mère a épousé en secondes noces, en 1953. Sans scrupule, cet aventurier s'est autoproclamé le dépositaire de la fortune de Romy. A lui la gestion des énormes cachets des Sissi. L'affairiste a réalisé, sans en informer Magda et sa fille, de juteux placements financiers aux Baléares et en Suisse, investissements dont il est le premier bénéficiaire. Ce qui lui permet de vivre sans compter, comme un richissime rentier. Dans l'immense propriété de Magda Schneider, à Vico Morcote, Blatzheim se conduit en maître des lieux, commandant les domestiques avec une arrogance qui révulse Romy. Pire : le restaurateur déteste Delon, qu'il surnomme "le guignol français".
   Dés qu'il le peut, Hans Herbert transmet des informations intimes sur le couple à la presse populaire allemande, qui ne pardonne pas à Romy sa fuite en France avec Alain Delon. Ce départ est considéré comme une trahison, une véritable désertion. Dans les journaux allemands, on traite Delon d'usurpateur, de "petite frappe" on l'accuse d'avoir kidnappé Sissi l'Impératrice !

Ils se fiancent pour faire taire les rumeurs des journaux allemands qui titrent : "Sissi entre les mains d'un voyou"

   Au mois de septembre 1959, le magazine Stern a même fait sa couverture avec une photographie de Delon et Romy éméchés, rentrant au petit matin, quai Malaquais, à Paris, avec le titre : "Voilà ce qu'est devenue notre Sissi !". Pour mettre fin à cette traque, Romy accepte de se fiancer officiellement le 22 mars 1959. La cérémonie à lieu dans l'église de Vico Morcote, église devant laquelle le couple accepte justement de poser pour Roger Denizon. La date des fiançailles tombent mal pour l'acteur qui tourne sous la direction de Michel Boisrond Faibles femmesaux côtés de Mylène Demongeot et Pierre Mondy. Il ne veut pas s'y rendre et il faudra que Romy le supplie, en larmes, pour qu'il cède, du bout des lèvres...
   A la fin de ses vacances, au moment de quitter la propriété de Vico Morcote, Romy s'isole sur les bords du lac pour sangloter, seule, à l'abri des regards du photographe et d'Alain Delon.

Un dernier cadeau dérisoire

   Elle envisage le pire et une intuition terrible la torture : elle sent qu'ils ne seront pas "les fiancés de l'éternel" pour reprendre une phrase de son journal. Ce redoutable pressentiment va hélas vite se réaliser : dès 1960, l'acteur, pressé de devenir une star, la délaisse pour sa carrière. Flamboyant, il rayonne sous la direction de Luchino Visconti et néglige de plus en plus Romy.
   Le triste épilogue de leur belle histoire a lieu le 18 décembre 1963, jour noir où Alain la quitte avec une rare désinvolture pour Nathalie, en lui laissant comme cadeau d'adieu un dérisoire bouquet de roses dans leur appartement parisien soudain si vide.
   Romy, inconsolable, reste des heures prostrée, sans avoir la force de prononcer un mot. Puis elle écrit dans son journal intime : "Faire le deuil de cette passion-là me sera impossible. En perdant Alain, je suis perdue à jamais." Elle termine son texte par ce proverbe de Khalil Gibran, grand poète libanais, qu'elle rédige en allemand, sa langue de cœur : "De même que l'amour vous couronne, il doit vous crucifier"...


France Dimanche Hors-Série N° 4 - Destins brisés - Janvier 2016
   

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